Les femmes prennent du retard au travail, tandis que leurs homologues masculins reçoivent des promotions. Sandrine Devillard indique que cela ne changera probablement pas, à moins que les organisations au Canada ne prennent des mesures sérieuses.
« Le système est complètement inégal depuis presque le début, et la situation ne fait qu’empirer à mesure que les femmes progressent dans le bassin de talents. C’est comme si nous versions de l’eau dans un seau où il y a un gros trou », explique Sandrine Devillard, associée senior chez McKinsey Canada.
Sandrine Devillard fait référence à l’étude 2021 de McKinsey « La diversité au travail au Canada », qui — de 2017 à 2021 — a analysé les données sur les employeurs de 51 entreprises canadiennes employant plus d’un million d’employés dans dix secteurs différents.
L’étude montre qu’en moyenne, le même nombre d’hommes que de femmes occupent des postes de premier échelon. Cela dit, la représentation des femmes chute lors de la première promotion au poste de gestionnaire — à ce niveau, seulement 37 % sont des femmes (9 % sont des femmes de couleur), 63 % sont des hommes.
L’étude indique aussi une baisse continue dans la représentation dès que les rôles deviennent plus élevés dans la hiérarchie. Au niveau de la haute direction, les femmes ne représentent que 30 % des postes (dont 6 % sont des femmes de couleur), les hommes représentant 70 %. Ces quatre dernières années notamment, les améliorations dans la représentation n’ont été que marginales.
Depuis plus de 22 ans, Sandrine Devillard étudie les défis auxquels les femmes sont confrontées dans le milieu de travail, et elle souligne que les résultats de l’étude « donnaient à réfléchir », sans compter que la pandémie a amplifié de nombreux problèmes.
« Je trouve atterrant d’avoir encore à prendre part à ces conversations 22 ans plus tard, et que rien de significatif n’ait vraiment changé », ajoute-t-elle.
Crédit photo : Christinne Muschi
L’impact dévastateur des préjugés au travail
Sandrine Devillard note qu’il existe de multiples facteurs contributifs au déséquilibre sexospécifique dans le leadership. L’un des facteurs importants est que les femmes ne sont pas promues au même rythme que les hommes, même au premier niveau de direction. Cette situation découle d’une multitude de préjugés, en particulier celui que les leaders peuvent avoir à l’encontre des femmes en âge de procréer. Il existe une idée fausse selon laquelle elles ne seraient pas aussi réactives vis-à-vis des responsabilités professionnelles que les hommes, et ce, en raison de leurs rôles d’aidantes dans leur vie personnelle. Ce biais erroné peut entraver la promotion à un stade initial des femmes, ce qui produit un effet d’entraînement jusqu’aux postes de PDG.
« Il existe également une idée fausse sur le style de leadership des hommes et des femmes », fait remarquer Sandrine Devillard.
« Nous assimilons la différence de style de leadership à un manque de capacité à diriger », précise-t-elle. « Nous avons constaté que les hommes et les femmes n’utilisent pas les mêmes styles de leadership avec la même fréquence. Par exemple, les hommes ont tendance à avoir un style de prise de décision beaucoup plus individualiste, tandis que les femmes ont tendance à adopter un style de prise de décision plus participatif. Cela pourrait donner l’impression que les femmes ne prennent pas les choses en charge ou manquent de leadership, ce qui est également faux. Il s’agit de deux styles de leadership efficaces. Ils sont juste différents. »
L’étude montre également que si de nombreuses organisations ont exprimé leur intérêt à faire de la diversité, de l’équité et de l’inclusion (DÉI) une priorité (68 %), peu ont pris des mesures significatives pour en faire une réalité (35 %). Sandrine Devillard souligne que ce type d’inaction peut avoir un effet néfaste sur le rendement des organisations.
« Nous avons constaté que les organisations qui adoptaient la diversité, l’équité et l’inclusion obtenaient un meilleur rendement, car elles attiraient les meilleurs talents », fait-elle remarquer. Une organisation réputée pour ses pratiques d’embauche équitables constitue un milieu de travail de choix pour les employés potentiels. De plus, dans un marché du travail tendu, puiser dans un bassin de talents plus large est tout simplement logique. »
« Un leadership (et des styles de leadership) plus diversifié aide également les organisations à prendre de meilleures décisions opérationnelles », ajoute-t-elle.
Épuisement professionnel et microagressions
La pandémie a exacerbé les défis auxquels sont confrontés bon nombre de leaders au pays, signale Sandrine Devillard. Les femmes, en particulier, ont dû assumer davantage de responsabilités à la maison et au travail, ce qui a conduit au surmenage et à l’épuisement professionnel.
Selon l’étude, les femmes de niveau supérieur étaient deux fois plus susceptibles (31 %) que les hommes de niveau supérieur (17 %) à envisager de ralentir leurs activités professionnelles ou de complètement quitter le milieu de travail. Parallèlement, seulement 30 % des femmes — contre 37 % d’hommes — avaient exprimé le désir d’assumer un rôle de direction, et ce, en raison d’un manque d’intérêt et d’un épuisement potentiel.
« En même temps, les milieux de travail toxiques propices aux microagressions envers les femmes et les personnes de couleur continuent d’être un obstacle important à l’avancement des femmes », signale Sandrine Devillard. L’étude révèle que 60 % des femmes occupant des postes senior et 70 % des femmes de couleur ont déclaré avoir subi des microagressions au travail au cours de la dernière année.
Réparer « les pots cassés »
Alors, face au statu quo qui ne permet manifestement pas de faire des progrès significatifs, que peut-on faire pour combler l’écart entre les hommes et les femmes dans les milieux de travail?
« Tout d’abord, il faut opérer un changement d’approche », assure Sandrine Devillard. « Les échecs liés au bassin de talents et leur impact sur la DÉI doivent être traités comme d’importants problèmes opérationnels », indique-t-elle. « Les organisations doivent les aborder de la même manière qu’elles relèvent n’importe quel grand enjeu opérationnel, comme l’augmentation des revenus ou l’expansion mondiale. »
« Cela doit être envisagé comme un vaste programme de changement, mais “ce n’est souvent pas” la façon dont il est géré en ce moment », déplore-t-elle. « Les organisations doivent se fixer des objectifs ambitieux, mais atteignables. Elles doivent responsabiliser leurs employés et les motiver. Elles doivent aussi mettre en place des ICP [indicateurs clés de performance] et former leur personnel pour résoudre ces problèmes. »
« Pour réaliser de réels progrès, les organisations devraient intégrer la DÉI dans les rôles et responsabilités de tous les employés », conseille Sandrine Devillard. Les leaders des organisations les plus performantes démontrent leur engagement envers ces objectifs en faisant preuve d’exemplarité quant à l’adoption de comportements inclusifs. Elles suivent leurs mesures organisationnelles avec transparence et se tiennent responsables de ces chiffres. Elles créent également des programmes de parrainage pour les groupes sous-représentés et offrent une gamme de programmes de soutien en milieu de travail pour les employés, des horaires de travail flexibles ou du soutien en santé mentale, entre autres.
« J’aurais aimé avoir une solution miracle, mais c’est un écosystème complet qu’il faut construire », affirme Sandrine Devillard.
« C’est possible; il faut simplement se mettre au travail. »