Tina Pan se souvient encore d’avoir senti que quelque chose clochait.
Il y a quelques années, elle et les membres de son équipe ont rencontré un intervenant de longue date. À ce moment-là, Mme Pan avait de l’expérience dans la gestion de projets qui nécessitaient qu’elle travaille étroitement avec des chef(fe)s d’entreprises. Alors que l’équipe faisait la file pour serrer la main du client, celui-ci a contourné Mme Pan et a serré la main du reste de l’équipe, qui était uniquement constituée d’hommes; Pan était la seule femme.
« Lorsque c’est arrivé, je me suis dit “Hmm, bizarre”, parce que je ne comprenais pas [pourquoi] », dit-elle. « Peut-être que j’étais placée un peu derrière les autres, ou peut-être a-t-il présumé que j’étais une adjointe. Je trouvais juste que c’était étrange. »
Pan n’arrêtait pas d’y penser et a décidé d’en parler à son équipe.
« Les membres de mon équipe ne comprenaient pas non plus ce qui s’était passé, dit-elle. Je me sentais mal d’en parler, parce que je pensais que j’étais peut-être juste trop susceptible. Mais même plusieurs années plus tard, j’y pense encore. »
Elle n’est pas la seule à avoir vécu ce genre d’expérience. Malgré la vaste implantation des programmes de diversité, équité et inclusion (DÉI) dans les milieux de travail, un récent rapport de McKinsey indique que les femmes, particulièrement les femmes de couleur, continuent de se sentir mal à l’aise de parler des microagressions et des préjugés qu’elles subissent au travail.
Crédit photo : Della Rollins
« Le supplice des 1 000 morceaux »
Selon le rapport La diversité au travail au Canada, plus de femmes que d’hommes ont indiqué avoir été la cible de microagressions sur leurs lieux de travail.
Deux fois plus de femmes cadres que d’hommes ont mentionné qu’on les avait interrompues ou ignorées pendant qu’elles parlaient, et plus de 60 pour cent des femmes cadres ont signalé avoir subi au moins une forme de microagression dans le cadre de leur travail.
De plus, près de la moitié des femmes ont dit qu’elles n’ont pas dénoncé les préjugés ou la discrimination perçue à leur endroit, et plus de femmes que d’hommes ont indiqué qu’elles ne se sentaient pas assez en sécurité pour le faire. Les femmes étaient deux fois plus susceptibles que les hommes de signaler des représailles après une dénonciation.
Pan mentionne que les microagressions peuvent sembler inoffensives ou accidentelles au début, mais qu’elles peuvent tout de même avoir un effet considérable sur le bien-être psychologique des femmes, sur leur rendement et sur leur capacité d’avancement professionnel.
« Il peut s’agir de petits événements quotidiens qui ne semblent pas extrêmes à première vue, mais qui, en s’accumulant, deviennent un supplice des 1 000 morceaux », ajoute-t-elle.
Selon Pan, la solution se trouve dans la création d’un environnement où les gens se sentent à l’aise de parler de microagressions sans craindre les représailles ou le jugement.
« Je crois qu’il y a un problème de sensibilisation. De nombreuses personnes ne réalisent pas que ces incidents surviennent [sur leur lieu de travail]. Ce n’est pas qu’elles essaient d’ignorer le phénomène; elles ne s’en rendent tout simplement pas compte », explique-t-elle.
Dans les milieux de travail, on doit avoir des discussions ouvertes et transparentes sur l’aspect que peuvent prendre ces microagressions, de la haute direction aux employé(e)s de premier échelon.
« Une fois que vous savez à quoi ressemblent les microagressions, vous aurez plus de chance de les remarquer la prochaine fois que vous en êtes témoins », indique-t-elle.
Pan ajoute aussi qu’il est essentiel d’avoir un réseau d’allié(e)s dans son milieu de travail. « Ça prend du courage pour signaler ce type de situation. Et c’est le genre de mentalité qu’on doit tou(te)s avoir pour se débarrasser des microagressions. »
Créer un milieu de travail réellement inclusif
Selon le rapport La diversité au travail au Canada, même si la DÉI est une priorité pour bon nombre d’organisations canadiennes, au cours des quatre dernières années, seules des améliorations limitées ont été constatées en ce qui concerne le taux de représentation parmi les bassins de talents.
Par exemple, en 2021, près de 70 pour cent des employé(e)s ont mentionné que leur organisation priorisait la DÉI. Cependant, seuls 35 pour cent des employé(e)s ont déclaré que leur entreprise avait considérablement respecté son engagement et seulement 15 pour cent ont dit que leurs gestionnaires et cadres ont été évalué(e)s pour avoir atteint ou non leurs objectifs de DÉI.
Pan affirme que pour faire de la DÉI une réelle priorité et diagnostiquer tout problème qui pourrait nuire à l’avancement des femmes et d’autres groupes sous-représentés, les organisations doivent formuler une stratégie cohérente incluant des objectifs précis et des façons de mesurer les progrès.
« Nous savons que, particulièrement dans un cadre organisationnel, ce qui n’est pas mesurable ne sera pas fait, dit-elle. Chez McKinsey, nous avons un outil intitulé Inclusion Assessment, que nous utilisons tant avec les clients qu’au sein de la firme, et qui renferme une science organisationnelle. En effet, l’outil sépare l’inclusion en plusieurs composantes par rapport aux résultats que nous souhaitons obtenir et [indique] les pratiques qui contribueront à les atteindre. »
En ce qui concerne les stratégies pratiques qui favoriseront l’atteinte des objectifs de DÉI, Pan affirme qu’un solide programme de parrainage est un outil très utile. « Le parrainage de femmes qui souhaitent progresser dans leur carrière, ainsi que les autres types de soutien (les soins aux enfants et les programmes de congés prolongés) peuvent réellement contribuer à l’amélioration de la diversité, de l’équité et de l’inclusion au travail », indique-t-elle.
« Le parrainage est quelque chose que nous faisons à l’interne et avec nos clients pour les encourager à faire de même », dit-elle. « Il est prouvé que les personnes qui se font parrainer progressent beaucoup plus rapidement. » Pan souligne que le rapport La diversité au travail au Canada a démontré que 82 pour cent des organisations les plus performantes en matière de DÉI offrent des programmes de parrainage pour les groupes sous-représentés, comme les femmes de couleur, comparativement à 52 pour cent pour le reste des entreprises.
Contrairement au mentorat, où les mentors conseillent des employé(e)s moins expérimenté(e)s, les parrains/marraines défendent les intérêts de leurs protégé(e)s.
Il s’agit d’une distinction importante si les organisations souhaitent vraiment changer les choses, dit-elle.
« Les femmes ont tendance à être trop mentorées et peu parrainées », indique Pan. « [Avec le mentorat], on peut obtenir autant de conseils qu’on le souhaite. Mais lorsqu’on arrive au point névralgique d’une discussion à l’égard d’une promotion, on a besoin d’une personne qui se battra pour nos intérêts et créera ces opportunités pour nous. »
Pan affirme que bien que toutes les entreprises soient uniques, les organisations ont besoin de créer « un écosystème de leviers judicieusement conçus et exécutés » pour véritablement faire avancer la DÉI et favoriser un environnement inclusif où tou(te)s les employé(e)s réalisent leur plein potentiel.