Atteindre les objectifs climatiques du Canada signifie répondre aux questions d’accessibilité financière
Dans le cadre de l’Accord de Paris, le Canada a revu à la hausse sa contribution déterminée au niveau national (CDN) et s’est engagé à réduire ses émissions de 40 à 45 %, contre 30 % précédemment, par rapport aux niveaux de 20051. Même s’il est probable que tous les secteurs devront s’engager, l’ampleur du défi nécessite notamment que les entreprises et les secteurs industriels prennent les devants en réduisant leurs émissions de manière significative. Cependant, les consommateurs·trices ont aussi un rôle à jouer. La population canadienne peut contribuer à la décarbonisation de multiples manières. Le transport de passagers et le chauffage résidentiel sont les deux domaines sur lesquels les Canadien·nes peuvent avoir un impact direct et visible2, particulièrement en adoptant des thermopompes électriques basse température et des véhicules électriques. Ces technologies nécessitent que les ménages canadiens optent pour des solutions à faibles émissions de carbone plutôt que pour des combustibles fossiles3.
Dans tout le Canada, l’accessibilité financière est une considération cruciale. Avec la récente inflation, de nombreux·euses Canadien·nes perçoivent des revenus discrétionnaires insuffisants pour couvrir leurs dépenses existantes4, rendant les investissements supplémentaires dans des véhicules électriques ou des thermopompes plus difficiles, notamment en fonction de leur situation, de leurs revenus, de leur ville de résidence, mais également d’autres facteurs. Par conséquent, l’accessibilité financière est un facteur qui doit être étudié pour assurer que le Canada puisse atteindre le niveau d’adoption de ces technologies afin de respecter ses engagements en matière de CDN et d’atténuer les dommages supplémentaires causés par l’augmentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère.
Pour aider le Canada à atteindre ses objectifs, cet article explore les obstacles potentiels à l’adoption de ces technologies et les facteurs qui pourraient influencer la décision des consommateur·trices. Notre analyse étudie les conséquences de l’achat de ces produits pour les consommateur·trices de différentes régions et ayant différents revenus, sous deux angles : celui du coût du cycle de vie du produit et celui du coût d’investissement initial5. Notre analyse indique que l’achat de véhicules de tourisme et d’appareil de chauffage domestique à faibles émissions de carbone n’offre pas un résultat homogène et que les considérations d’accessibilité financière varient en fonction du niveau de revenu des consommateur·trices et de leur localisation.
Adoption des véhicules électriques par les ménages
En 2022, environ 3 % des voitures particulières en circulation au Canada étaient des véhicules électriques6. Pour que le secteur du transport de passagers contribue « à parts égales » à l’engagement en matière de CDN du Canada, les véhicules électriques devraient représenter plus de 45 % de l’ensemble des véhicules en circulation. Par conséquent, le taux de croissance historique des véhicules électriques devrait être deux fois plus élevé qu’à l’heure actuelle7. Pour atteindre ce niveau de pénétration d’ici 2030, plusieurs obstacles doivent être franchis, notamment la disponibilité d’un nombre de modèles de VE suffisant et leur prix8.
Même si un VE peut présenter les mêmes coûts ou des coûts inférieurs à ceux d’un véhicule à moteur à combustion interne sur une durée de vie supposée de quinze ans, le coût de l’investissement initial peut être un facteur de dissuasion. D’après une analyse utilisant les données de 2024 (y compris les coûts d’investissement et d’exploitation et les subventions actuelles), le temps nécessaire à un·e consommateur·trice pour rembourser un VE par rapport à un véhicule à moteur à combustion interne similaire est compris entre quatre et plus de quinze ans9, en fonction de la ville et du scénario considéré (figure 1)10. Les véhicules de milieu et de haut de gamme seraient remboursés plus rapidement que les véhicules d’entrée de gamme en raison de la différence relative du coût initial11.
Le temps nécessaire pour qu’un VE atteigne la parité avec un véhicule à moteur à combustion interne varie considérablement en fonction des prix régionaux de l’électricité, des prix de l’essence et des programmes d’incitation pour les VE. En Nouvelle-Écosse, en Colombie-Britannique et au Québec, par exemple, les VE atteignent la parité plus rapidement, généralement en quatre à huit ans. En Ontario et en Alberta, le délai de récupération est de six à dix ans.
Thermopompes basse température pour les maisons unifamiliales
En 2023, 6 % des ménages canadiens utilisaient des thermopompes pour le chauffage résidentiel . Si les bâtiments résidentiels (en particulier les maisons individuelles) devaient contribuer à parts égales à l’engagement de réduction des émissions d’ici 2030, environ 45 % des ménages devraient utiliser des thermopompes, ce qui multiplierait par plus de huit le taux de croissance historique de l’adoption des thermopompes13. Comme pour les VE, il sera difficile pour les thermopompes d’atteindre ce niveau de pénétration d’ici 203014, mais l’accessibilité financière est un élément important à prendre en compte.
Les économies personnelles liées à l’adoption des thermopompes varient en fonction de la ville, de l’appareil de chauffage dominant dans chaque zone urbaine15 et du scénario considéré. Le temps nécessaire pour atteindre la parité avec les méthodes traditionnelles de chauffage domestique pourrait aller de zéro à plus de 15 ans (figure 2).
Lorsque les régions planifient l’adoption des thermopompes, il est important de tenir compte de leur efficacité par temps froid, en particulier dans les régions qui connaissent de longues périodes de froid intense. Certains ménages peuvent choisir de conserver un système de chauffage d’appoint, ce qui pourrait alourdir l’analyse de rentabilité16. Mais à Halifax, par exemple, les thermopompes seraient rentables dans la plupart des scénarios envisagés en raison du coût élevé du mazout et des subventions offertes par la Nouvelle-Écosse.
Si un ménage peut aligner le remplacement de son appareil de chauffage sur celui d’un appareil de refroidissement (comme la climatisation), l’argument économique en faveur de l’adoption d’une thermopompe devient beaucoup plus convaincant et le remplacement profiterait aux propriétaires dans la plupart des villes17.
Accessibilité financière dans les différentes résidences et régions
Bien que l’adoption des VE ou des thermopompes puisse être rentable sur le long terme, ces solutions nécessitent un investissement initial qui est aujourd’hui plus élevé pour ces technologies à faibles émissions de carbone que pour les solutions de remplacement actuelles. L’évaluation des niveaux de revenus et de dépenses moyens de la population canadienne dans les quintiles de revenus faibles, moyens et élevés a permis de déterminer qu’un grand nombre de Canadien·nes ne disposent pas de revenus suffisants pour couvrir leurs dépenses actuelles, ce qui rend tout achat supplémentaire difficile18.
Ces conclusions sont valables pour un grand nombre de villes considérées. Si les ménages du quintile moyen choisissent d’investir dans ces technologies malgré un revenu net potentiellement négatif, ils devront y allouer 15 à 90 % de leur revenu discrétionnaire habituellement utilisé pour d’autres achats, tels que les cadeaux, les activités récréatives et les soins personnels (figure 3).
L’achat d’un VE pourrait obliger les Canadien·nes ayant un revenu moyen19 à réallouer entre 5 et 40 % de leur revenu discrétionnaire. La proportion du revenu discrétionnaire qui devrait être réallouée à l’achat d’une thermopompe varie de 5 à 65 %20. Les ménages à faible revenu ne disposeraient probablement pas d’un revenu discrétionnaire suffisant pour réallouer leurs dépenses à des achats à faible émission de carbone, et seuls les ménages à revenu élevé de Toronto, Halifax et Montréal auraient les moyens d’acheter un VE et une thermopompe sans avoir à renoncer à leurs achats discrétionnaires existants.
Comment les parties prenantes peuvent-elles faire avancer les choses?
L’accessibilité financière demeure un obstacle à l’adoption des VE et des thermopompes, particulièrement à court terme. Les coûts des thermopompes et des VE devraient diminuer de manière significative au cours des années 2030 et, comme les coûts technologiques diminuent au fil du temps, les consommateur·trices pourraient être en mesure de s’offrir ces technologies plus facilement.
Les parties prenantes de tous les secteurs peuvent réfléchir à la manière d’améliorer l’accessibilité financière et la faisabilité de l’adoption, par exemple en facilitant l’accès à un plus grand nombre de marques et de modèles de véhicules ou d’appareils. D’autres voies pourraient également être explorées, comme les technologies alternatives (y compris les véhicules hybrides, les biocarburants, l’hydrogène et la gestion de la demande) et les changements de comportement (notamment des aires de stationnement ou des voies de circulation réservées aux VE et de meilleures options de transport en commun). Ces options ne sont pas exhaustives et de nombreuses considérations peuvent améliorer l’adoption et l’accessibilité financière.
Si l’adoption par l’utilisateur final est un facteur essentiel, les industries et les réglementations gouvernementales ont un rôle crucial à jouer dans la création des conditions qui permettent de prendre des décisions en faveur de la décarbonisation. Outre la question de l’accessibilité financière, d’autres facteurs essentiels doivent être pris en compte pour permettre une plus grande adoption, notamment la simplification ou l’augmentation du nombre d’autorisations pour la mise en place des infrastructures, la planification coordonnée du réseau pour suivre le rythme de la demande en électricité, la disponibilité des matériaux et de la main-d’œuvre pour l’installation des chargeurs et des thermopompes, et l’augmentation du nombre d’entrepreneurs ayant les connaissances nécessaires pour recommander ces solutions. La diffusion de ces technologies passe également par une meilleure sensibilisation des consommateur·trices et des entrepreneurs aux technologies à faible émission de carbone.
Le défi de la décarbonisation nécessitera une action coordonnée et collective de l’industrie et des consommateur·trices individuel·les. Les VE et les thermopompes sont deux technologies qui pourraient réduire considérablement les émissions des consommateur·trices individuel·les si elles étaient adoptées à grande échelle, mais il n’y aura pas d’approche unique pour améliorer l’adoption de ces technologies dans tout le pays.
Des facteurs d’adoption différents doivent être pris en considération pour chaque province et chaque niveau de revenu. Une approche plus personnalisée tenant compte des contraintes régionales et de revenu – telles que la disponibilité du réseau, le prix de l’électricité, l’intensité des émissions du réseau, les températures annuelles, la méthode de chauffage principal dont disposent les ménages et le kilométrage annuel – peut contribuer à accroître la décarbonisation dans les secteurs du chauffage résidentiel et du transport de passagers.
À propos des auteur·es
Asad Husain est associé au bureau de McKinsey Toronto et Rob Palter et Zak Cutler y sont associés seniors. Elaine Almeida est associée au bureau de Calgary et Greg Kudar y est associé senior.
Les auteur·es aimeraient remercier Jacqueline Smith et Raj Herian pour leurs contributions à cet article.
Sources
1 Soumission de la contribution déterminée au niveau national pour 2017 à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, Gouvernement du Canada, 11 mai 2017; Contribution déterminée au niveau national 2021 du Canada en vertu de l’Accord de Paris, Gouvernement du Canada, 2021.
2 Lorsque nous parlons de thermopompes et de VE dans cette analyse, nous faisons spécifiquement référence aux thermopompes à air basse température et aux VE pour passagers dans les secteurs des bâtiments résidentiels (maisons unifamiliales) et du transport de passagers.
3 Pour mettre en évidence les conséquences de la transition énergétique sur l’accessibilité financière, les différences entre les technologies traditionnelles et les technologies à faibles émissions de carbone ont été analysées (à savoir, les différences entre les véhicules électriques et les véhicules à moteur à combustion interne et les différences entre les thermopompes et les chaudières et plinthes électriques). Les conclusions suivantes sont basées sur le coût total de possession de chaque technologie au cours de sa durée de vie pour les coûts d’investissement, les dépenses d’exploitation, les modifications potentielles de la fiscalité et les émissions.
4 Guy Gellatly et Carter McCormack, Développements récents de l’économie canadienne : automne 2023, Statistique Canada, 25 octobre 2023; Dépenses des ménages, Canada, régions et provinces, Statistique Canada, 18 octobre 2023; Revenu des particuliers selon le groupe d’âge, le sexe et la source de revenu, Canada, provinces et certaines régions métropolitaines de recensement, Statistique Canada, 26 avril 2024; Mensualités moyennes prévues pour les nouveaux prêts hypothécaires, Société canadienne d’hypothèques et de logement, 28 août 2024; Sommaire du marché du crédit pour les ménages, données désaisonnalisées, Statistique Canada, 12 septembre 2024; Aled ab Iorwerth, La hausse continue de l’endettement des ménages fait que les risques demeurent élevés pour l’économie canadienne, Société canadienne d’hypothèques et de logement, 23 mai 2023; Pete Evans, Households now owe more than Canada's entire GDP, housing agency warns, CBC News, 23 mai 2023.
5 Seuls les achats résidentiels (p. ex., les thermopompes pour les maisons individuelles ou les véhicules électriques personnels) ont été pris en compte. Les résultats peuvent être très différents pour les achats à l'échelle commerciale ou industrielle et n'ont pas été pris en compte ici.
6 Aperçu du marché : Nombre record de véhicules électriques vendus au Canada, Régie de l’énergie du Canada, 26 octobre 2022; Statistiques automobiles, Statistique Canada, consultée le 17 septembre 2024; 3 % des immatriculations totales et 5 % des nouvelles immatriculations.
7 En supposant qu’il y aura 18 millions de ménages en 2030 et que chacun d’entre eux disposera d’au moins un véhicule électrique.
8 Les Canadien·nes n’achètent pas suffisamment de véhicules par an aujourd’hui pour atteindre ce niveau de pénétration d’ici 2030, même si 100 % d’entre eux étaient des VE dès cette année; Aperçu du marché : Nombre record de véhicules électriques vendus au Canada, 26 octobre 2022; Statistiques automobiles, consultée le 17 septembre 2024; Emma Jarratt, ZEV registrations hold steady in Q2 2023, according to new StatsCan data, Electric Autonomy Canada, 27 septembre 2023.
9 En supposant que l’on parcourt 15 000 km par an, ce qui correspond à peu près à la distance moyenne parcourue par les Canadien·nes chaque année.
10 Les villes de Calgary, Vancouver, Toronto, Montréal et Halifax ont été prises en compte, pour les groupes de revenus et de dépenses des quintiles inférieur, moyen et supérieur, et pour différents scénarios. Pour les VE, ces scénarios incluent les VE en tant que véhicule d’entrée ou de milieu de gamme, avec et sans taxe carbone, et en changeant les prix de l’électricité et le kilométrage. Pour les thermopompes, ces scénarios incluent le remplacement des chaudières ou des plinthes seulement par rapport au remplacement des chaudières ou des plinthes et d’une unité de climatisation en même temps, avec et sans taxe carbone, et en changeant les prix de l’électricité.
11 Le délai de récupération pour les véhicules d’entrée de gamme est plus long, car le coût de base d’une batterie augmente le coût d’un VE d’entrée de gamme de plus de 20 000 dollars par rapport à un véhicule à moteur à combustion interne d’entrée de gamme. Pour les véhicules de milieu et haut de gamme, le coût initial de la voiture augmente, mais l’écart entre le VE et le moteur à combustion interne se réduit (10 000 à 15 000 dollars), de sorte que le VE atteint plus vite la parité en termes de coût total de possession.
12 Aperçu du marché : Thermopompes de plus en plus présentes, Régie de l’énergie du Canada, 21 février 2018; Un peu de chaleur! De quelle manière les Canadiens et les Canadiennes chauffent-ils leur domicile pendant l’hiver?, Statistique Canada, 13 janvier 2023.
13 En supposant que l’adoption passe d’environ 900 000 ménages aujourd’hui à environ neuf millions de ménages en 2030, le taux d’adoption devrait passer d’une croissance d’environ 4 à 5 % par an à plus de 35 % par an (en supposant une contribution égale du secteur des bâtiments).
14 Les Canadiens n’achètent pas suffisamment d’appareils de chauffage par an pour assurer ce niveau de renouvellement, car la plupart des appareils ont une durée de vie de 15 à 25 ans.
15 Pour cette analyse, on a supposé l’existence de chaudières au gaz naturel à Calgary, Vancouver et Toronto, de chaudières au mazout à Halifax et de plinthes électriques à Montréal.
16 L’efficacité déclarée des thermopompes va généralement jusqu’à une température d’environ – 30 °C; en 2024, certaines villes canadiennes ont connu des températures inférieures à -40°C. Certains Canadien·nes pourraient choisir d’utiliser un système hybride, en conservant des appareils de chauffage au gaz naturel ou des plinthes chauffantes en plus d’une thermopompe, auquel cas l’analyse du « délai de récupération » n’est pas valable puisqu’il ne s’agit pas d’un remplacement direct. Pour plus d’informations, consultez le Programme pour la conversion abordable du mazout à la thermopompe, Gouvernement du Canada, mis à jour le 10 septembre 2024.
17 Le coût du gaz naturel étant inférieur à celui de l’électricité aujourd’hui, le coût d’exploitation d’une thermopompe est plus élevé, ce qui réduit certains avantages au cours de la première ou des deux premières années.
18 Le revenu des ménages du quintile inférieur est défini par Statistique Canada comme se situant entre 25 000 et 35 000 dollars par an, selon la province, et le revenu des ménages du quintile moyen est défini par Statistique Canada comme se situant entre 75 000 et 105 000 dollars par an, selon la province.
19 Revenu du quintile moyen par Mensualités moyennes prévues pour les nouveaux prêts hypothécaires, Société canadienne d’hypothèques et de logement, 28 août 2024, et les sources suivantes de Statistique Canada : Développements récents de l’économie canadienne : automne 2023, 25 octobre 2023; Dépenses des ménages, Canada, régions et provinces, 18 octobre 2023; Revenu des particuliers selon le groupe d’âge, le sexe et la source de revenu, Canada, provinces et certaines régions métropolitaines de recensement, 26 avril 2024; Dépenses des ménages selon le type de ménage, 18 octobre 2023.
20 Cette analyse a été réalisée à partir des données de 2024 et pourrait s’améliorer au fil du temps, à mesure que le coût d’investissement de ces produits diminuera.