Amorcer le redémarrage : 8 axes pour sécuriser le retour à l’activité des entreprises

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Les annonces publiques des projets de déconfinement en Europe et aux Etats-Unis commencent à fixer les horizons du retour à l’activité. Face à la complexité des facteurs à prendre en compte, comment s’assurer de concevoir un plan solide et complet de redémarrage, intégrant l’ensemble des risques et maximisant les actifs disponibles ?

Les quelques semaines qui nous séparent de l’été : c’est l’horizon de temps que les annonces des exécutifs de plusieurs pays européens fixent aux citoyens comme aux acteurs économiques pour basculer dans l’ère du déconfinement. Ces annonces précèdent de peu la proposition d’un calendrier de reprise aux Etats-Unis et succèdent aux prudentes mesures de réouverture en Chine, lancées fin mars et encore soumises à l’aléa d’une résurgence du virus.

Certes, ces dates demeurent indicatives et entourées de nombreuses incertitudes quant aux modalités de mise en oeuvre, aux populations, aux territoires et aux secteurs concernés. Mais elles lancent sans conteste le compte à rebours vers une nouvelle étape dans la résolution d’une crise sans précédent par sa nature, sa soudaineté et son ampleur. Pour les dirigeants d’entreprises, elles laissent quelques semaines pour préparer cette phase cruciale en vue d’engager le rebond tant espéré. Alors qu’ils continuent d’absorber et de gérer le choc de la réduction, voire de l’arrêt de l’activité, ils doivent à présent se projeter vers une reprise à géométrie variable.

Bien entendu, le déterminant fondamental tient à la voie que prendra la sortie de crise sanitaire. Le déconfinement n’aura rien d’un phénomène binaire : il sera à la fois séquencé et hétérogène selon les géographies et les activités. Même si les situations varient fortement entre pays et entre secteurs, il est acquis que les entreprises ne pourront compter sur un retour à l’intégralité de leurs capacités opérationnelles et de leur accès aux marchés avant la diffusion massive d’un vaccin ou d’un traitement. Les moyens de dépistage, de traçage et d’équipement en masques à grande échelle, de même que la récupération de capacités hospitalières en réanimation seront aussi les clés du rythme de la reprise. Les entreprises devront donc procéder étape par étape pour recomposer leur activité, en recouvrant progressivement leurs forces vives et leurs débouchés. En cela, le précédent de l’expérience chinoise peut être riche d’enseignements pour les acteurs européens.

Face à l’immensité de la tâche et à la complexité des facteurs à prendre en compte, comment s’assurer de concevoir en quelques semaines un plan solide et complet de retour à l’activité, intégrant l’ensemble des risques et maximisant les actifs disponibles ?

Depuis l’émergence de la crise sanitaire, les échanges nourris que nous entretenons avec les dirigeants de grandes entreprises françaises, européennes mais aussi asiatiques de tous secteurs nous offrent une vision large de leurs enjeux et de leurs préoccupations devant cette échéance capitale. Nous en tirons la conviction qu’un tel plan devrait s’articuler autour de 8 axes structurants.

Le compte à rebours est lancé vers une étape décisive pour résoudre une crise sans précédent par sa nature, sa soudaineté, son ampleur.

1. Dresser une cartographie précise du redémarrage

Alors même que la crise a fait voler en éclats bon nombre de leurs repères, de leurs hypothèses et de leurs instruments de mesure ou de décision, les dirigeants d’entreprises se trouvent dans l’obligation de définir un cadre d’action solide dans un environnement extrêmement mouvant.

L’approche la plus sûre consiste alors à développer une cartographie détaillée du redémarrage (pays par pays, site par site, segment par segment, client par client, produit par produit), afin de hiérarchiser les opportunités de relance. Elle fera office de boussole pour orienter efficacement la production, la supply chain, les efforts marketing et commerciaux. Surtout, elle déterminera l’horizon de reprise de chacun des sites. Elle permettra également d’engager au plus tôt une réévaluation des investissements et des perspectives de repositionnement géographique de la chaîne de valeur (offshoring, nearshoring, relocalisations). Le cas échéant, il sera opportun dès le retour à l’activité de geler certains projets existants en la matière, jusqu’au moment où l’entreprise disposera de la capacité de passer ces plans au crible du nouveau contexte.

Cette cartographie doit s’appuyer sur un scénario de base, ainsi que quelques scénarios alternatifs intégrant des variables de conditions de marché à fort impact, en particulier le risque de reprise des contagions. Il s’agira alors de tester le plan de redémarrage selon ces scénarios et de se préparer à une réallocation fluide des ressources si nécessaire. Une telle cartographie devra couvrir deux grandes dimensions :

  • L’axe géographique et réglementaire. Les calendriers de redémarrage vont varier nettement entre pays. Pour ne prendre que le périmètre de l’Europe, on distingue déjà à l’heure actuelle trois catégories de nations. La première rassemble des Etats qui auront déjà entre mi-avril et début mai commencé à lever les restrictions sur plusieurs activités : commerces de détail, écoles, restaurants, hôtels, événements publics. Un deuxième groupe correspond aux pays qui offrent une visibilité forte sur leur plan de reprise, avec des échéanciers précis. Enfin, les autres Etats européens ont annoncé la date d’amorce du déconfinement, sans encore détailler ses modalités et calendriers de mise en oeuvre. Au sein même des Etats, d’autres logiques vont entrer en ligne de compte : selon les cas, les régions, les secteurs, les catégories de population seront soumis à des levées différenciées des règles de confinement. A cela s’ajouteront les contraintes variables qui continueront à peser sur les salariés et pourraient retarder leur retour sur le lieu de travail (essentiellement les transports publics et la scolarisation des enfants). Ainsi en Chine, un mois après le déconfinement, le taux de retour à l’activité atteignait 97 % dans l’automobile, 70 % dans le textile, et 40 % seulement dans la restauration. En outre, hors province du Hubei, 99 % des grandes entreprises avaient repris contre 77 % des PME. Enfin, entre secteurs, le taux de retour à l’emploi des salariés s’échelonnait entre 80 et 20 % seulement. 

    44 % des consommateurs français réduiront leurs dépenses dans les 2 semaines à venir vs. 34 % en Italie et 28 % en Allemagne

  • La segmentation de la base de clients. Les entreprises doivent clarifier dans leur plan les paramètres et hypothèses concernant leur clientèle. La problématique se pose de manière très différente selon que l’activité est B2C ou B2B. 
    S’agissant du B2C, il est essentiel de comprendre les répercussions sur le pouvoir d’achat des ménages ainsi que sur leur confiance dans l’avenir économique de leur pays et de leur foyer, soit les déterminants de leur propension à consommer ou épargner (voir Figure 1). Au vu de ces éléments, les entreprises devront revoir leurs projections de trafic et de panier moyen de leurs clients. Il importe aussi d’anticiper les évolutions dans les habitudes et les attentes de consommation. Selon nos analyses1, elles pourraient être majeures. Ainsi en France, 44 % des consommateurs prévoient de réduire leurs dépenses discrétionnaires sur les deux prochaines semaines, contre 34 % en Italie, 45 % au Royaume-Uni et 28 % en Allemagne. En Chine, nous mesurons que 50 % des achats programmés ont été annulés – et non retardés –, que les achats d’impulsion ont chuté de plus de 30 % ou encore que la pénétration des achats en ligne a cru de 15 à 20 %. Au-delà de ces effets, la crise semble accélérer fortement des tendances de fond déjà mesurables auparavant, en particulier les exigences des consommateurs en matière de santé, de durabilité ou de localisme de l’offre. 
    Figure 1

    Dans le B2B, la compréhension fine des enjeux de chacun des grands comptes sera capitale : calendrier de reprise, impact de la crise et émergence de nouveaux besoins. Il faudra également prendre en considération leurs protocoles de sécurité sanitaire et leurs implications sur les modalités de l’offre à leur adresser. Dans cette démarche, les acteurs vont être puissamment aidés par les initiatives qu’ils ont mises en place durant la crise pour renforcer la proximité clients. Leurs dispositifs de connaissance client vont ressortir très renforcés de cet épisode où ils ont pu développer les relations avec leurs principaux clients – y compris sur un plan émotionnel – et parvenir à une connaissance intime de leurs défis, contraintes, opportunités et aspirations. Pour les entreprises dont la clientèle se répartit entre plusieurs secteurs, il conviendra d’intégrer le niveau d’exposition très variable des industries aux effets immédiats et durables de la crise (voir Figure 2). Compte tenu des disparités entre secteurs – mais aussi entre acteurs au sein d’un même secteur –, il importera d’en induire la priorisation commerciale de l’entreprise.
Figure 2

2. Apporter les garanties de sécurité aux clients pour rétablir la confiance

Le traumatisme subi à travers la crise du Covid 19 combiné aux mesures de déconfinement va indéniablement ancrer de nouveaux réflexes sanitaires chez les clients et hausser considérablement leur niveau d’exigence et de vigilance quant à leur sécurité. Les entreprises devront alors répondre à l’impératif absolu de fournir leurs produits et leurs services dans des conditions maximales de sûreté sanitaire, et le démontrer ou le faire savoir à leurs clients. Deux pistes d’actions doivent être envisagées :

  • Définir les conditions garantissant une « safe experience » aux clients, à travers une réflexion sur toutes les dimensions où elle peut se percevoir. En Asie, nous observons la mise en place de nouvelles habitudes : contrôles de température à l’entrée des magasins, mise à disposition de gel hydroalcoolique sur les points de vente ou dans les transports en commun, généralisation du « sans contact » aussi bien pour le paiement que pour la livraison, développement des services d’assistance ou de maintenance à distance, extension des approches de « click & collect » et même adoption du Drive en dehors de la sphère de la grande distribution alimentaire où elle se cantonnait encore, etc. Certains grands groupes commencent déjà à faire valoir des actions de cet ordre, à l’image de la compagnie Emirates. Celle-ci a lancé le 15 avril un dépistage en 10 minutes de tous les passagers embarquant sur ses vols à Dubaï et leur a demandé de porter un masque à bord ; mesures qu’elle entend déployer à plus large échelle. Dans un tout autre secteur, Accor et Bureau Veritas ont établi un partenariat pour créer un label certifiant le niveau d’hygiène et de sécurité post-Covid, qui s’adressera aux acteurs de l’hôtellerie et de la restauration.
  • Communiquer proactivement sur les mesures mises en oeuvre hors du regard des clients, dans les back-offices, les sites de production ou de stockage : les processus de bout-en-bout minimisant la manutention humaine, les procédures de tests sur l’ensemble de la supply chain, la traçabilité des composants, ou encore l’application stricte des normes sanitaires les plus élevées dans les infrastructures et sur chaque maillon de la chaîne logistique (plus particulièrement s’agissant de l’alimentaire).

3. Préserver la santé des collaborateurs, tout en ravivant leur engagement

Comme l’attestent nos dialogues avec les dirigeants d’entreprises, la sécurité et la santé de leurs collaborateurs ont été placées au sommet de leurs priorités, et ce dès les premières manifestations de la pandémie. Elles le demeureront sans aucun doute dans la perspective du redémarrage. Permettre le retour au travail des salariés dans les meilleures conditions de prophylaxie représente un enjeu primordial pour rassurer et engager à nouveau les collaborateurs. Il s’agit simultanément de :

  • Sécuriser les collaborateurs sur le lieu de travail. La première préoccupation consiste à contrôler strictement les accès aux sites, dans le respect des réglementations nationales (ex. : prise de température à l’entrée de bâtiments, mise en place d’une quarantaine après un arrêt maladie). Il convient également d’encourager la poursuite du télétravail pour minimiser les déplacements. Certaines catégories de personnels ont démontré qu’elles pouvaient assumer à distance la quasi-totalité de leurs missions et étaient susceptibles de prolonger cette expérience sans conséquence notable sur l’activité. Par ailleurs, la période du confinement a pu attester la validité du télétravail pour nombre de processus. En parallèle, les dirigeants doivent s’attacher à réduire la densité d’occupation des locaux, en réaménageant l’espace de travail (ex. : délimiter des zones étanches afin de prévenir toute contagion et composer les équipes de manière à éviter les pénuries de compétences) ou la temporalité du travail (horaires décalés, rotations par jours). Par ailleurs, ils auront à déployer les nouvelles mesures d’hygiène et de sécurité (application des normes de distanciation sociale, respect des gestes barrières, mise à disposition des masques, recours à des ustensiles à usage unique). Enfin, il sera crucial de communiquer activement sur ces mesures. Etablir les dispositifs d’information et de validation des protocoles adoptés auprès des pouvoirs publics constituera la première priorité. Mais il sera aussi nécessaire d’alimenter abondamment la communication interne, en particulier sur l’impact des mesures de protection (par exemple, autour d’indicateurs, ou de paliers emblématiques « plus de 10 jours sans nouveau cas »). La confiance et l’engagement des salariés passeront par une démonstration de rigueur et d’efficacité sur la mise en oeuvre de ces nouveaux standards.
  • Etendre les mesures de protection du personnel hors de l’entreprise, comme l’ont fait des multinationales en Asie du Sud-Est et en Chine. Certaines entreprises souhaiteront par exemple favoriser les déplacements individuels pour les trajets domicile-travail, ou mettre à la disposition des salariés des équipements de sûreté (gel hydroalcoolique, masques, gants) pour leur usage personnel. Au-delà, les directions des ressources humaines peuvent également, conformément aux réglementations nationales, contribuer à mettre à la disposition du personnel des technologies de traçage afin d’éviter les résurgences du virus.
  • Remobiliser les collaborateurs. Outre les préoccupations relatives à leur sécurité, les salariés nourriront des interrogations sur la normalisation des nouveaux modes de travail qui ont été adoptés durant le confinement. De surcroît, ils auront pour beaucoup vécu le confinement comme une épreuve. Il se peut que cette expérience suscite en eux des appréhensions, et même que certains soient soumis à une pression familiale pour retarder le retour physique à leur poste. Au point que des usines en Chine ont vu leur taux d’absentéisme passer de 5 % à 20 % après le déconfinement. Il conviendra donc de redonner du sens et un cap clairs à l’action de tous. L’extension de la dimension de « raison d’être » de l’entreprise et son incorporation au sein de toutes les activités et de la stratégie en constituera un fondement essentiel. Enfin, il sera déterminant de renforcer la capacité de l’organisation à être attentive aux signaux faibles sur le bien-être au travail, notamment en continuant d’appliquer les deux principes managériaux mis en valeur durant la crise : transparence et empathie.

4. Revitaliser la demande de manière ciblée

De façon relativement contre-intuitive, nos analyses établissent que 85 % de la perte de PIB hebdomadaire enregistrée début avril en Allemagne et plus de 70 % en France, étaient imputables aux contraintes pesant sur la demande. Pour une large majorité des 25 secteurs que nous avons étudiés (17 en Allemagne et 20 en France), les effets du choc de la demande sur la valeur ajoutée sont supérieurs aux conséquences du choc de l’offre, liés à la disponibilité et à la productivité de la main-d’oeuvre ou des matières premières et composants (voir Figure 3).

Figure 3
 

L’un des tout premiers impératifs pour les entreprises consistera donc à réactiver leur base clients. Elles devront alors parvenir à stimuler la demande, en se prémunissant contre tout risque de déformer les modèles de prix ou, pire encore, d’alimenter une spirale déflationniste. Plus que jamais, il importera de gagner sur plusieurs fronts :

  • Identifier et capter les poches de croissance rentables. Il convient d’aller chercher les gisements de demande là où ils se trouvent en adoptant une logique d’investisseur : c’est-à-dire se tenir prêt à réallouer rapidement les dépenses de prospection et de marketing.
    Chaque investissement commercial ou chaque promotion consentis doivent être pesés face au risque de déclenchement d’une guerre des prix qui pourrait aggraver une situation déjà marquée par un affaissement des volumes. Pour réussir à tenir cet équilibre délicat, les entreprises doivent également réfléchir à la communication qu’elles entendent mener sur ce risque auprès de l’ensemble des acteurs de leur filière, afin de prévenir des approches concurrentielles destructrices de valeur.
  • Adopter un pricing hautement tactique. Il s’agit à la fois d’assurer les conditions matérielles et psychologiques qui permettent aux clients de réaliser leurs achats, de créer des conditions commerciales favorables à un rebond de la consommation, mais également d’éviter une situation dangereuse dans laquelle une pression simultanée sur les prix de la part des fournisseurs et des clients mettrait en difficulté les entreprises sur l’ensemble d’une chaîne de valeur. En fonction de ces impératifs, les entreprises devront doser très finement les modèles de promotions ou de remises qu’elles accorderont. Sur toutes ces questions, il s’agira de faire montre de standards élevés d’éthique car les comportements tarifaires seront surveillés de près par les clients, les associations de consommateurs et les autorités publiques.
  • Solvabiliser la demande des clients coeur. Une fois les ventes sécurisées, il convient d’apporter une aide pragmatique aux clients et fournisseurs en difficultés financières en leur accordant, de manière très ciblée, des facilités de paiement ou des extensions de délais. Là encore, le choix entre pratiques habituelles et exceptions doit se faire de manière très stratégique pour ne pas porter atteinte à l’équation économique de l’ensemble de la filière.
  • Optimiser le mix marketing. Les directions Marketing doivent s’assurer que l’offre est en adéquation avec les transformations de la demande provoquées par la crise. A court terme, il s’agit d’encourager activement les clients à utiliser les canaux d’interactions digitaux. L’urgence est également à remporter la bataille de la marque. En effet, la fidélité aux marques risque d’être mise à l’épreuve par la crise : d’après nos études, 33 % des consommateurs chinois ont changé de marques alimentaires durant la crise, et 20 % de ces derniers envisagent d’adopter durablement les produits de substitution qu’ils ont testés. Une grande agilité est alors requise pour lancer, dans une logique « test and learn », des initiatives de renforcement de la marque : le nouvel horizon d’itération se comptant, sur certains segments, en heures. A moyen terme, les entreprises doivent renforcer leur capacité de détection de tous les signaux émis par leurs consommateurs sur l’ensemble de leur parcours omnicanal, et déterminer en conséquence toutes les solutions susceptibles d’enrichir rapidement l’expérience client.

5. Orchestrer la réinitialisation des opérations et de la supply chain

Le redémarrage optimal des opérations conditionne un retour sur le marché à la vitesse désirée pour servir la demande accumulée lors du confinement, sans aller plus vite que le rythme de la reprise. Il sert aussi de catalyseur pour apporter des améliorations jusqu’alors reportées, prévient les risques d’enlisement dans la situation de crise et consolide fortement la position concurrentielle. Plusieurs prérequis doivent être réunis :

  • Sécuriser la chaîne logistique sur les approvisionnements stratégiques (par exemple, réservation de capacité d’acheminement par camions jusqu’au retour à la normale du fret), mais aussi les processus opérationnels critiques pour garantir la reprise (afin de couvrir leurs besoins en matériels indispensables tels que masques, gants ou gel hydroalcoolique, par exemple, des acteurs pourront être amenés à reconvertir des parties de leur outil de production). C’est ainsi que les entreprises peuvent prendre la mesure des perturbations de l’offre causées par la crise et y remédier point par point.
  • Muscler la capacité de l’entreprise à prévoir la demande et à la satisfaire.
  • Il s’agit notamment d’adapter la cadence de montée en puissance, pour éviter de générer de nouveaux stocks de produits finis qui tarderaient à trouver des débouchés. Parmi les meilleures pratiques en la matière figure la mise en place de « tours de contrôle » ayant la visibilité de bout-en-bout sur différents scénarios de demande, les mouvements de stocks, le déploiement de la production, et la logistique associés. Ces structures peuvent être utilisées pour déterminer et suivre des indicateurs stratégiques, relatifs aux stocks (taux de couverture, disponibilité des matières premières). Surtout, elles permettent de tester la robustesse de l’écosystème de l’entreprise, en évaluant la solidité dans la durée de ses principales composantes (fournisseurs, partenaires, distributeurs…) et la nécessité d’agir auprès d’eux (risk heatmap, identification d’alternatives, process de qualification accélérés, ou soutien ciblé dans certains cas).
  • Déterminer un phasage de la reprise, site par site. Ce séquencement du plan se fonde sur 4 critères majeurs : le contexte réglementaire régional du site et de ses centres de distribution, l’état de la demande locale, les capacités du site en matière de volumes de production, de disponibilité de la main-d’oeuvre et de matériels de protection, et enfin « l’état de santé » du portefeuille de sous-traitants. D’autres facteurs, financiers, peuvent également être pris en compte tels que le coût marginal par unité produite. La reprise progressive de l’activité doit être l’opportunité de purger le stock de produits partiellement finis et de mettre à profit le temps non productif pour anticiper les maintenances indispensables.
  • Rassurer l’ensemble des partenaires sur la fiabilité des opérations, la meilleure option en des temps incertains étant de les flexibiliser. Une solution prometteuse en la matière consiste à mettre en place des programmes de production adaptables, revus sur une base hebdomadaire avec le demand planning. Ces programmes doivent également être sous-tendus par un dialogue quotidien avec les fournisseurs de rang 1, et une revue systématique des opportunités d’ajustement de la production. Parmi les meilleures pratiques industrielles, on peut aussi citer la conception de « clones digitaux » des usines réouvertes, permettant de modéliser l’impact des mesures correctrices.

Dans les quelques semaines à venir, les entreprises devront résoudre une équation inédite, dont les inconnues sont encore extrêmement nombreuses.

6. Mettre en place les sous-jacents technologiques du retour à l’activité

Depuis le début du confinement, les CIO et CTO ont consenti des efforts considérables pour répondre à l’explosion de nouveaux besoins. Il leur a fallu orchestrer le basculement massif et soudain vers le télétravail, en déployant de nouveaux outils collaboratifs à distance dans les meilleures conditions d’efficacité et de cybersécurité. Simultanément, ils ont dû assurer la montée en puissance des canaux numériques pour servir au mieux les clients. Ils ont ainsi relevé le défi de répondre à la demande digitale émergente, tout en solidifiant les infrastructures SI de l’entreprise soumises à de très fortes augmentations de charge. Or sur l’ensemble de ces réalisations, la période du redémarrage offre l’opportunité d’aller plus loin. L’importance du digital pour les clients, les fournisseurs et l’environnement économique a crû très nettement avec la crise du Covid, et les plans technologiques des entreprises doivent accélérer en conséquence.

Sur le front des technologies, trois actions prioritaires doivent être lancées afin d’assurer avec succès le redémarrage :

  • Accélérer la transformation digitale au service des nouveaux besoins des clients et des collaborateurs. Cet impératif concerne en premier lieu les solutions IT et les outils en tant que tels, qui doivent être pertinents, sûrs, et répondre aux attentes émergentes des clients comme de l’interne. Côté clients, nous avons mesuré par exemple qu’en Chine, 55 % des consommateurs sont susceptibles de continuer à faire leurs courses alimentaires en ligne après le déconfinement. Face à un tel essor, fiabiliser et développer les plateformes digitales de vente représentera un enjeu essentiel pour les distributeurs. Autre illustration, plusieurs constructeurs automobiles en Asie ont développé des showrooms virtuels permettant à un client de rendre visite à un concessionnaire depuis son domicile ; innovation qu’ils s’attachent désormais à réintégrer dans un nouveau parcours digital de bout-en-bout. Côté collaborateurs, le recours aux solutions technologiques s’est fortement développé pendant la crise : pérenniser ces avancées passe alors par la formation à un usage des nouveaux outils exploitant tout leur potentiel de performance, ainsi qu’aux meilleures pratiques de cybersécurité. Les dirigeants devront concevoir une nouvelle feuille de route technologique alignée sur les besoins business, afin d’accélérer la transition numérique et de créer de nouvelles activités digitales. La plupart des entreprises disposaient certes d’un agenda de transformation digitale avant la survenance de la crise. Mais bien souvent cet agenda se limitait à une juxtaposition de pilotes qui n’atteignaient pas l’échelle nécessaire, tandis qu’il manquait dans bien des cas à ces plans un alignement suffisant de l’ensemble des dirigeants, un leadership puissant des directions métiers ou un lien étroit avec les objectifs business. L’opportunité existe aujourd’hui de repenser et d’élever l’aspiration digitale de l’entreprise.
  • Améliorer la prise de décision guidée par la donnée et l’accès aux données. Par exemple, dans le cas d’un redémarrage partiel des lignes de production, la reconfiguration de la chaîne logistique nécessitera le calcul d’un nouvel optimum à partir des données commerciales, logistiques et de production. Des sources de données supplémentaires doivent également être prises en considération pour alimenter les décisions stratégiques et opérationnelles. Autre exemple, certaines entreprises de distribution adaptent leurs modèles de prévision des stocks sur la base des données publiques de propagation ou de régression du Covid 19 à l’échelle régionale. Pendant le confinement, nous avons mesuré de rapides évolutions dans les intentions des consommateurs et leurs préférences en termes de canaux. La probabilité d’un retour rapide à une situation pré-crise étant faible, les directions marketing auront besoin de données plus fines pour piloter leur marketing digital et leurs dépenses media en vue de stimuler la demande avec davantage de précision. Les algorithmes développés et « entraînés » sur la base d’une réalité pré-pandémique et intégrant des hypothèses d’adoption digitale aujourd’hui caduques devront être profondément revus.
  • Repenser le portefeuille de projets et les dépenses. La diminution attendue des revenus dans la plupart des secteurs va se traduire à court terme par une pression sur les coûts et sur les capacités d’investissement. Dans le même temps, la demande concernant les outils de collaboration à distance continuera à croître et les dirigeants chercheront à accélérer la transformation digitale pour satisfaire l’augmentation des usages en ligne des clients. Les CIO et CTO doivent reprioriser en conséquence leurs programmes, projets et achats technologiques, afin de répondre à un double objectif : participer à l’effort de réduction de la base de coûts de l’entreprise durant la crise, tout en absorbant la charge des nouveaux investissements technologiques nécessaires au redémarrage et au changement d’échelle des activités digitales. L’impératif consiste à demeurer totalement en phase avec des écosystèmes largement numérisés.

7. Piloter étroitement le redémarrage

La double priorité en la matière consistera à :

  • Accroître la rapidité et la sûreté de la prise de décision. Nous l’avons vu, un grand nombre de questions doivent être simultanément traitées pour réussir le redémarrage. Très interdépendantes, elles exigent de surcroît de mêler en permanence la réflexion et l’action, la décision et l’adaptation. Beaucoup d’entre elles sortent largement du cadre de gouvernance habituel de l’entreprise, de par leur ampleur, leur complexité et la rapidité de réponse qu’elles requièrent. Pour les prendre en charge, les centres névralgiques de gestion de crise mis en place dès le confinement constituent une base solide. Leurs domaines de spécialisation restent pertinents pour la reprise des activités : protection des salariés, stabilisation des opérations, engagement des clients et conduite de stress-tests financiers. Il importe de conserver leur souplesse, leur vitesse d’exécution, leurs lignes de décision et de reporting simplifiées, tout en réorientant leurs missions vers les étapes spécifiques du redémarrage. Au-delà, et pour engager les phases ultérieures à la reprise proprement dite, il apparaît également crucial de renforcer ce dispositif en le complétant par une équipe de prospective (plan-ahead team)1. Celle-ci se concentrerait alors sur 5 missions pour assurer l’orientation la plus sûre de l’entreprise pour les mois à venir : établir régulièrement les bilans de situation, faire évoluer les scénarios potentiels, concevoir et adapter la feuille de route stratégique, déterminer les actions et les mouvements tactiques à engager dans chacun des scénarios, identifier les seuils de déclenchement permettant à l’organisation d’agir systématiquement au moment opportun.
  • Donner l’impulsion par l’usage optimal du working capital et des marges de financement. Le pilotage du fonds de roulement nécessite une attention toute particulière afin de s’assurer que les cash-flows seront suffisants pour parer aux chocs de la crise et de la relance, quels que soient les scénarios. Les entreprises doivent ainsi modéliser leurs données financières dans chaque scénario et identifier systématiquement les facteurs susceptibles de porter atteinte à la liquidité. Pour chacun de ces facteurs, les entreprises peuvent déterminer les mesures appropriées afin de préserver leurs marges d’actions financières. En effet, la phase du redémarrage risque d’accentuer encore la tension sur les liquidités. Les fournisseurs et les clients, eux-mêmes à la recherche de fonds de roulement, exerceront une pression en vue de bénéficier de modalités de paiement avantageuses. Il conviendra d’y répondre de manière ciblée. Ainsi, certaines entreprises ont mis à contribution leurs fonds propres pour stabiliser la demande ou l’approvisionnement. On peut ici citer des opérateurs télécoms aux Etats-Unis qui ont suspendu les coupures de lignes pour factures impayées, ou encore Unilever qui a lancé un plan de 550 millions de dollars de facilité de trésorerie pour ses fournisseurs. Au-delà du working capital, il sera crucial de piloter étroitement le bilan, d’une part en revoyant les contrats existants de crédit ou de dette (et éventuellement en les renégociant), et d’autre part en évaluant l’opportunité de recourir davantage au financement de long terme (sous forme obligataire ou en capital) afin de compenser le poids des pertes de court terme.

Il importe de conserver la souplesse, la vitesse d’exécution, les lignes de décision et de reporting simplifiées mises en place pendant la crise, et de les mettre au service des enjeux du redémarrage.

8. Identifier les sources de création de valeur nées de la gestion de crise à pérenniser et réinvestir dans la relance

Nombre d’entreprises disposant de la faculté de poursuivre au moins partiellement leur activité durant les périodes de confinement, ont dû concevoir et adopter en quelques jours un modèle de fonctionnement « sous contraintes » radicalement nouveau. Certaines ont ainsi réussi à faire pivoter dans de larges proportions leurs activités.

Des acteurs, en particulier dans les services professionnels, sont parvenus à porter en quelques jours leur taux de télétravail de 5 à 90 %. L’ensemble des entreprises ont été contraintes de supprimer les déplacements, tout en préservant leurs capacités d’action par le recours aux interactions en visioconférence. D’autres ont dû redimensionner leurs équipes, flexibiliser leur modèle opérationnel, raccourcir les chaînes de décision, rationnaliser leurs processus, voire reconvertir leurs lignes de production. Enfin, les compétences des personnels ont parfois été développées dans l’urgence sur de multiples dimensions (aussi bien sur les aspects métiers, qu’en matière de capacités de pilotage et d’exécution, de sens de l’initiative, de polyvalence…).

Par ailleurs, dans bon nombre de situations, la crise a été l’occasion de resserrer puissamment les liens avec les grands clients et de solidifier l’écosystème de fournisseurs. De la traversée de cette épreuve collective, beaucoup d’entreprises peuvent ainsi attendre l’ancrage de relations partenariales très fortes avec toutes les parties prenantes de leur environnement.

Sur certains segments d’activité, des gains de productivité (en termes de délais ou de coûts) et d’agilité ont ainsi été réalisés de manière spectaculaire. Pour les dirigeants, il importe aujourd’hui de déterminer, parmi ces évolutions imposées par les circonstances, celles qui ont pu être génératrices de valeur tant sur les plans financiers qu’opérationnels et humains. Certaines d’entre elles pourraient en effet être intégrées à leurs futures réflexions sur la réorganisation du travail et la réinvention du modèle opérationnel.

Enfin l’innovation, aussi bien de process que de produits, a parfois progressé de manière considérable pendant la période de confinement. Ces gisements de performance nouvelle pourraient être réinvestis au profit de la reprise des activités, et contribuer à enrichir à plus long terme les actifs matériels et immatériels de l’entreprise. Il convient alors d’en faire un recensement rigoureux et de les intégrer aux nouveaux standards de fonctionnement post-crise, dans une démarche de progrès continu.


Dans les quelques semaines à venir, les entreprises devront résoudre une équation inédite, dont les inconnues sont encore extrêmement nombreuses, certaines étant d’ailleurs appelées à le rester bien après la reprise des activités. En se préparant sur les 8 axes que nous identifions, elles pourront parvenir à piloter leur retour à l’activité alors qu’elles seront loin de disposer de l’ensemble de leurs capacités opérationnelles, que des maillons de leur supply chain leur feront encore défaut, que l’accès à leurs divers marchés demeurera restreint, et qu’elles resteront sous la menace de résurgences de l’épidémie et de mesures de reconfinement.

Même si elles ne regagneront que très progressivement visibilité et marges de manoeuvre, les entreprises seront armées pour parer à toutes les éventualités dans un paysage profondément bouleversé et instable. Bénéficiant ainsi d’un modèle de fonctionnement hautement adaptatif, elles pourront mettre sous contrôle l’étape cruciale du redémarrage et commencer à se projeter vers l’ère qui lui succédera. Celle de la transition vers un « monde d’après » qui leur imposera de réinventer leur business model, tout en continuant à répondre efficacement aux contrecoups de la crise.

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