Nous connaissons tous le « plafond de verre », un terme que l’on emploie souvent pour désigner la barrière invisible contre laquelle les femmes se heurtent dès qu’elles essaient d’accéder à un certain niveau de leadership et de responsabilité, et ce, même si elles sont plus que qualifiées pour le rôle.
Il n’y a qu’un seul problème : « C’est un mythe », affirme Natasha Bergeron, experte et directrice de projets au bureau de Montréal de McKinsey, firme mondiale de conseils en gestion.
Natasha Bergeron a codirigé l’édition 2021 du rapport de la firme, La diversité au travail au Canada, une analyse exhaustive qui s’est penchée sur tout : l’épuisement professionnel, l’essor de l’automatisation, les effets de la pandémie sur l’équité et l’inclusion, entre autres.
L’une des conclusions les plus frappantes du rapport est que malgré de modestes gains dans la représentation des femmes au sein de la hiérarchie, les femmes et les minorités ethniques restent nettement sous-représentées au sommet des organisations.
« Ce que nous constatons grâce aux données, c’est qu’il ne s’agit pas d’un plafond de verre », explique Natacha Bergeron à propos de ce phénomène. « C’est un tuyau qui fuit, ou un “échelon brisé”, comme on le dit. »
Microagressions et préjugés
Natacha Bergeron explique que les femmes et les personnes de couleur ont moins accès au premier niveau de promotion, qui se produit généralement quelques années après l’entrée au service d’une organisation. Par la suite, ce manque d’accès persiste à chaque échelon de carrière. Elle souligne que, selon les données, les femmes au Canada représentent environ 50 % des travailleurs débutants, mais seulement 30 % des postes de niveau supérieur.
« Ce tuyau qui fuit “fuit davantage” dès qu’il s’agit de femmes de couleur », déplore Natacha Bergeron. Parmi les 50 entreprises canadiennes interrogées par McKinsey, ces femmes représentaient 17 % des postes de premier échelon et seulement 6 % des postes de direction, ce qui signifie que les deux tiers d’entre elles sont bloquées à un moment donné dans la hiérarchie.
Pourquoi cela se produit? « C’est un problème qui se situe à plusieurs niveaux », répond Natacha Bergeron. « Mais l’un des facteurs qui y contribue est la prévalence des microagressions. » Le rapport a révélé que 70 % des femmes de couleur en avaient été victimes au travail.
« Être interrompue ou se faire couper la parole, voir son jugement remis en question dans son domaine d’expertise, avoir l’impression que l’on doit faire attention lorsqu’on parle de soi-même ou de la vie en dehors du travail », énumère-t-elle. « Ce sont toutes de petites choses qui semblent mineures quand on les regarde individuellement. Mais, c’est l’accumulation qui a un impact sur l’expérience. »
En plus des préjugés ignorés — intentionnels ou inconscients — et du manque de parrainage, de mentorat et d’alliés de la part de groupes plus privilégiés, cette situation peut créer un environnement où les femmes de couleur sont négligées ou ne sont pas encouragées à postuler lorsque des promotions se présentent.
« Cela peut conduire à un sentiment de futilité, à se demander “Pourquoi devrais-je même faire l’effort si je sais que je ne serai pas choisie?” », ajoute Natacha Bergeron, qui est elle-même une femme de couleur. Elle fait remarquer que la « pénalité de la maternité » peut également nuire aux opportunités d’avancement.
« Parfois, les décisions sont prises pour les employées, comme "Hé, je ne lui offrirai pas cette opportunité parce qu’elle n’est pas aussi dévouée au travail ou les avancements professionnels ne lui sont pas aussi importants", indique Natacha Bergeron. « J’ai trois enfants, et j’ai personnellement vécu ça. »
Natacha Bergeron salue les opportunités de travail flexible chez McKinsey, lesquelles l’ont aidée à concilier la parentalité et une carrière florissante. Par exemple, le programme Take Time, une initiative de travail flexible, permet de travailler à temps partiel et de faciliter la transition vers le congé parental et le retour au travail.
« Les organisations qui ont des programmes pour aider à gérer ces réalités de la vie — la parentalité, la prise en charge de parents âgés, toutes ces choses qui arrivent tout simplement — créent différents parcours pour progresser », précise Natacha Bergeron. Davantage de parcours se traduisent par des itinéraires plus flexibles pour gravir l’échelle.
Prendre des mesures pour assurer l’équité
Natacha Bergeron souligne que, selon les recherches de McKinsey, les organisations qui ont fait le plus de progrès en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DÉI) ont tendance à faire deux choses. La première consiste à mettre l’accent sur la diversité dans leurs modèles opérationnels quotidiens.
« Cela signifie qu’elles suivent de nombreux indicateurs de diversité comme le sexe, la race, l’orientation sexuelle, le handicap, etc., et qu’elles analysent les données sous tous les angles pour voir où se situent les opportunités », explique Natacha Bergeron. Cela signifie également tenir les leaders responsables des progrès (ou de leur absence) et "leur donner du mordant" en les liant à leurs performances. Certaines organisations vont même jusqu’à lier les progrès en matière de DÉI à des incitations financières. Les plus performants prennent également des mesures pour réduire les préjugés - non seulement lors de l’embauche, mais également dans les évaluations de performances et les promotions.
« La deuxième chose menant au déblocage de la progression dans la hiérarchie est de favoriser une culture d’inclusion », conseille Natacha Bergeron. Il peut s’agir de programmes de parrainage et de mentorat qui créent des systèmes de soutien et d’alliance. Cela implique également une formation qui ne serait pas une simple présentation virtuelle sur laquelle on peut cliquer machinalement.
« Une formation constructive permet d’engager des conversations ouvertes, franches et parfois inconfortables tout en éduquant les autres », souligne Natacha Bergeron.
« Un milieu de travail inclusif donne aussi concrètement la priorité au bien-être du personnel », ajoute-t-elle.
« C’est particulièrement important dans ce contexte de pandémie et de travail à distance, où nous voyons des données homogènes sur les personnes qui se sentent épuisées », indique Natacha Bergeron. « Les personnes en épuisement professionnel sont 1,6 fois plus susceptibles d’envisager de travailler dans une autre organisation. La culture et le bien-être sont importants pour garder vos talents, hommes et femmes. »
En bref : il n’y a pas de solution miracle. Si l’on veut débloquer la progression dans la hiérarchie en faveur de la main-d’œuvre diversifiée, il faut un écosystème avec des initiatives concrètes et un engagement profond du leadership.
« À un niveau macro, les organisations doivent réellement faire des efforts dans cette voie et faire preuve de conviction quant à la diversité, l’équité et l’inclusion », exhorte Natacha Bergeron.
« Il ne s’agit pas simplement du phénomène éthique "conscientisé" agréable à avoir. Il faut avoir une véritable conviction que la diversité, l’équité et l’inclusion mènent à de meilleures performances, à une meilleure prise de décision et à une meilleure capacité à innover, car elle permet d’avoir le point de vue tout le monde dans la salle. »